L’état des lieux compte cinq parties prenantes,
Le tiers donneur : l’anonymat le préserve de toutes responsabilités quant aux conséquences juridiques de son acte et donc de « coups de sonnette-surprise » de l’enfant issu du don. De même, bien que rarement évoqué, le tiers donneur est aussi protégé d’un couple receveur insatisfait des souhaits initiaux de sa demande. Le don de gamètes est un don de cellules par un tiers altruiste qui a approché la stérilité ou qui est déjà dans la philosophie du don (sang, organe). Pour le tiers donneur, les seuls regrets de l’anonymat proviennent de rares cas s’interrogeant à distance d’un don, sur un hypothétique enfant biologique en difficulté (santé, financière, affective). Le sens inverse est imaginable, celui d’un donneur en difficulté par exemple financière qui pourrait solliciter, en cas de levée de l’anonymat, l’enfant issu de ses gamètes. Mais sans minimiser ces quelques situations inquantifiables, l’anonymat a plutôt une vertu protectrice du tiers donneur.
Le receveur : deux cas de figure s’offrent à lui : soit il a gardé le secret du mode de conception au même titre que le manteau de Noé, la scène primitive lors de la conception naturelle, soit il a révélé à l’enfant le recours à un tiers donneur. Dans le 1er cas, si le secret n’est pas levé, ni par la famille ni par l’enfant lui-même, chose rare, l’anonymat ainsi protégé par le secret de la conception, évite les complications de sa révélation susceptibles d’ébranler l’adage « un père, une mère, pas un de plus pas un de moins ». Dans le deuxième cas, jusqu’à ce jour fortement conseillé, même si irrégulièrement suivi, d’une révélation du mode de conception (on t’a tant désiré qu’on a demandé à la médecine de nous aider jusqu’à recourir à un tiers donneur), la brèche peut s’ouvrir différemment de la part de l’enfant, de la simple curiosité à parfois la béance d’une animosité face au mur de l’interdit à connaitre nominativement sa propre origine biologique. Tout le monde s’accordera à bien différencier secret et anonymat. Le secret du mode de conception impose l’anonymat et donc le secret généalogique : mais une question est de savoir si mode de conception et généalogie fondent à eux seuls les origines et leur quête. Quoiqu’il en soit, c’est bien le couple receveur qui fait ou défait le lien entre secret et anonymat.
L'enfant né : son histoire est avant tout celle du couple et de son désir d’enfant et non pas celle du receveur et du donneur. Or nous savons que la quête des origines est une étape naturelle et nécessaire à la construction identifiante de la personnalité de chacun. A l’âge du vouloir et du savoir, il peut devenir incontestablement le plus légitimement désireux d’une levée complète de l’anonymat. Si le secret du manteau de Noé (scène primitive) aide à l’intégration initiatique de l’enfant dans son histoire familiale, il peut devenir insupportable lorsqu’il cache des tiers qui n’ont aucun lien avec sa famille. Chaque vérité cachée devient alors un vide à combler dans la construction de sa personnalité. Contrairement à la conception naturelle, est intervenu « sous le manteau » un tiers médical soumis au secret dit médical. En cas de nécessité thérapeutique, le médecin du receveur ou du donneur peut avoir accès aux données identifiantes, des autorités judiciaires pourraient, elles-mêmes, dans des situations particulières, avoir la possibilité d’une levée complète de l’anonymat et lui, l’enfant qui est le premier concerné s’en trouve : privé de droit, privé du droit de savoir ou d’ailleurs de ne pas savoir. Le cran de plus dans les vérités cachées est le tiers donneur de gamètes. L’étape du changement socio-familial de l’enfant né ou à naître, est entre les mains des représentations médicales, administratives et judiciaires dont les procédures paradoxalement personnalisent, stigmatisent l’enfant pour le vouer à une anonymité désidentifiante, dont sa perception plus tard pourrait renforcer sa détermination pour la quête de ses origines. Nous retiendrons de l’enfant né d’un don de gamètes ou d’embryon que sa demande est incontestablement la plus légitime à pouvoir s’il le souhaite, demander une levée complète de l’anonymat pour accéder à ses origines personnelles
L’équipe médicale : il faut reconnaitre que l’anonymat généralisé du tiers donneur lui simplifie la tâche, même si les dispositions à prendre imposent des contraintes visant à garantir au sein de l’équipe clinico-biologique le caractère absolu de l’anonymisation des gamètes. L’hypothèse du « double guichet », de la double possibilité d’un don anonyme ou non anonyme, est perçue comme de gestion complexe et à risque, sans compter les conséquences de l’inégalité de situation ultérieure vis-à-vis des enfants à naître et le risque dans les deux cas de figure, d’exacerber les conflits. Pour reprendre l’avis 90 du CCNE, le double guichet est inégalitaire, source de privation de liberté pour les parents et de discrimination pour les enfants. Cette position évoluera dans les avis 126 et 129 soulignant le respect du choix du donneur. Les délais d’attente trop longs pour les indications médicales renforcés demain par les demandes sociétales imposent une exigence de moyens particulièrement humains pour satisfaire aux besoins nationaux exigibles au sein de l’Union européenne. Un nouveau droit d’accès aux origines pour les personnes issues d’un don de gamètes relèvera d’une organisation et d’une responsabilité sociale, hors du champ des compétences de l’équipe médicale.
La société et en son nom, le législateur : Elle est garante de la filiation dans sa dimension biologique mais aussi sociale c'est-à-dire identitaire, notamment dans un certain nombre de situations où sont dissociées ces deux dimensions du biologique et du social. Elle est donc en droit de s’interroger si l’anonymat généralisé à toute forme de don n’est pas finalement la solution la plus simple, tel qu’il est inscrit, depuis 1994, dans le code civil. A contrario, l’exigence croissante d’un droit d’accès aux origines pour les personnes nées de l’indication médicale d’un don de gamètes ainsi que la reconnaissance d’indications sociétales du don de spermatozoïdes peut lui faire considérer que l’ampleur de tout ce mystère engendré par l’anonymat est disproportionné quant à ses conséquences sur la demande d’un droit à une liberté qu’elle ne peut plus trop ignorer : celle d’accéder à ses origines personnelles. Il est vrai que dans un grand nombre de pays, connaître dans la mesure du possible l’identité de ses parents biologiques, est un droit que chacun est libre d’exercer et qu’en tous cas, il est fait en sorte qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne puisse entraver l’accès aux origines et par là même discriminer ceux qui n’auraient pas le droit de savoir de ceux qui savent. Ce qu’il y a de sûr et qui fait la force de notre droit, c’est qu’il consacre la primauté de la filiation sociale sur les liens du sang et que la volonté affichée de réforme du droit de la filiation (« rénover le droit de la famille » - 1999) se fonde sur deux grands objectifs : faciliter l’établissement du lien de filiation tout en assurant la sécurité et la stabilité de ce lien.
C’est sur ces bases qu’une réflexion éthique est menée dans notre pays depuis 2017, dans la perspective de nouveaux choix de société relatifs à une évolution des moeurs reconnue par le décideur politique et qui pourraient figurer dans notre prochaine loi de bioéthique.
Ce tableau nous permet de retrouver la place des différentes parties prenantes ainsi que les enjeux éthiques et juridiques des dispositions en débat au sein de la représentation nationale.
La partie gauche du tableau concerne la gestion du don de gamètes, les nouvelles conditions de consentement imposées au tiers donneur et les moyens mis en œuvre pour répondre aux indications sociétales se rajoutant aux indications médicales. La partie droite du tableau fait référence à de nouveaux droits pour les personnes issues d’un don de gamètes en matière d’accès aux origines personnelles et de filiation. Il appartiendra au législateur de veiller, dans tous les cas, aux dispositions sanitaires et sociales pour garantir l’applicabilité de la nouvelle loi.