La réponse est oui pour « cette morale sans moralisme », basée sur la connaissance vraie à un instant donné et sur quelques principes susceptibles de mettre de l’ordre dans notre esprit. Elle aide chacun d’entre nous, soignants et soignés du présent et du lendemain, à devenir des acteurs à part entière de notre démocratie participative.
Une épidémie virale relève à la fois de mesures préventives et de mesures de précaution. La distinction entre les deux est essentielle. La prévention répond à un risque avéré. Sa démarche est rationnelle en fonction de l’état du savoir et par lui de l’expertise des sachants : scientifiques concernés, médecins. C’est bien le cas de la vaccination et même de certains traitements curatifs dont les effets sur la contagiosité sont prouvés. La précaution anticipe un risque supposé dans une démarche, par essence irrationnelle, sous la responsabilité du seul décideur politique, aussi entouré qu’il soit d’experts en la matière. Il peut s’agir aussi bien de politiques de dépistage que de confinement systématisé mais aussi de plans d’action préparatoires à la survenue d’une épidémie sévère.
Dès lors, sur quels principes éthiques peuvent s’appuyer prévention et précaution ?
Le premier d’entre eux est la primauté de la personne. Ce principe inscrit dans notre Code civil, prévaut à toutes les étapes de l’épidémie. Pour reprendre l’article 2 de la Convention des droits de l’homme et de la biomédecine du conseil de l’Europe (dite convention d’Oviedo), seul instrument juridique contraignant pour les pays qui l’ont ratifié (France 2011) : « l’intérêt et le bien de l’être humain doivent prévaloir sur le seul intérêt de la société ou de la science ». Le respect de la personne et de sa dignité est indérogeable, quel que soit le niveau et l’étape de sa prise en charge.
Trois autres principes sont essentiels :
- le principe de non malfaisance particulièrement lié à la transmission de l’agent viral (entre les personnes, animal–homme et autres mises en danger d’autrui)
- le principe de solidarité relevant de la bienfaisance dans le cadre d’une crise sanitaire
- le principe de justice, comme celui d’un accès équitable aux soins particulièrement tendu en cas de débordement des moyens sanitaires. Il tient compte des besoins de santé et des ressources disponibles (convention d’Oviedo, art.3)
L’annonce d’une épidémie virale et a fortiori d’une pandémie se prépare, fait état des moyens disponibles, des données acquises sur le nouveau virus et son pouvoir pathogène, d’une observation continue des données épidémiologiques (à l’échelle mondiale en cas de pandémie).
Le pouvoir mutagène du virus impacte l’imprévisibilité de son agressivité et de sa contagiosité. Il n’est jamais le même d’une épidémie à l’autre et peut varier au sein d’une même pandémie. Là est toute la difficulté pour un État de se préparer à l’épidémie suivante au nom du principe de précaution et à anticiper sur son retentissement économique. Tout au plus peut-il organiser la mobilisation sanitaire, industrielle, économique et sociale en prévision d’un « état de guerre » épidémique, sur la base des 4 principes éthiques évoqués. Le virus n’ayant pas de frontières, une organisation sanitaire et économique, planifiée à l’échelle européenne ne peut que renforcer solidairement la lutte contre la pandémie.
Les indispensables connaissances de base
Un virus n’est ni une bactérie ni un parasite ni un champignon. Il peut être le plus sournois et le plus contagieux des agents infectieux.
Son mode d’action est singulier : il introduit son génome dans celui de la cellule qu’il infecte, la cellule infectée pour se défendre le mémorise et peut l’éliminer (CRISPR-Cas9). Plus il y a de virus dans un organisme (charge virale), plus il met à contribution les défenses de l’organisme infecté, parfois de façon excessive.
Ceci explique bien que la charge virale augmente d’autant plus que les contacts avec le virus se répètent d’où l’intérêt du confinement sanitaire des personnes infectées ou susceptibles de l’être et de la généralisation du port du masque tant que les tests spécifiques permettant sa détection ne sont pas disponibles.
Ceci explique aussi que les symptômes se manifestent en décalé par rapport à d’autres infections non virales, qu’ils peuvent passer inaperçus, qu’ils dépendent des moyens de défense de l’organisme infecté parfois diminués par une pathologie associée (co-morbidité), par un âge physiologique avancé, par un traitement inapproprié se substituant aux défenses naturelles de l’organisme (aspirine, ibuprofène, corticoïdes…).
Le virus présente aussi la possibilité de modifier son génome (pouvoir mutagène). Cette modification peut le rendre inoffensif comme plus agressif. Ce pouvoir mutagène explique aussi que les moyens d’identifier le virus et de mesurer la charge virale doivent s’adapter d’une épidémie à l’autre, parfois au sein d’une même épidémie. Il en est de même pour les vaccins : celui de la grippe conduit à modifier le vaccin d’une année sur l’autre.
- Le confinement sanitaire
A priori, il consiste à isoler les personnes infectées des autres pour les traiter et pour éviter qu’elles ne contaminent leurs proches. Cette convergence d’intérêts de l’individu et de la société s’associe à celui de la science en charge d’identifier la contamination du virus concerné (tests directs et indirects).
En cas d’impossibilité de dépistage (absence de tests ou tests non disponibles) et du fait d’une particulière dangerosité virale, le confinement peut s’étendre à l’ensemble de la population exposée à l’épidémie, en dehors des exigences de première nécessité (santé, alimentation, hygiène, protections civiles et militaires, ressources financières). Le port du masque est aussi un outil de confinement efficace vis-à-vis du virus et des porteurs sains.
Le confinement sanitaire peut s’inscrire dans d’autres confinements exacerbant les problèmes de santé publique : dans les établissements médico sociaux tels que EPHAD, hospices et maisons de retraite, en milieu carcéral en surpopulation, dans d’autres situations d’enfermement de circonstance (bateaux de croisière, transport aérien, déplacement professionnel ou touristique)
- Les tests liés au virus
Il faut distinguer :
- le test direct qui identifie le génome viral dans les cellules infectées dont le prélèvement s’effectue pour le Covid-19, aux niveaux naso-pharyngé, salivaire, bronchique.
- Le test indirect à la recherche d’anticorps spécifiques contre le Covid-19, dans le sang des personnes susceptibles d’avoir été en contact avec le virus et d’avoir été immunisées
La mesure de la charge virale ne peut s’effectuer qu’en cas de test direct positif. Il révèle la présence du virus pour tout sujet contaminé, qu’il soit symptomatique ou asymptomatique, particulièrement en début de virose et bien moins dans les formes graves avancées en insuffisance respiratoire.
La recherche sérologique d’anticorps anti covid-19 est d’intérêt plus tardif, notamment lorsque le virus n’est plus détectable. La durée de l’immunité naturelle est imprévisible, variable selon les individus.
- Les traitements
Il faut ici distinguer les traitements qui agissent :
- sur les symptômes: de la fièvre (paracétamol) à la détresse respiratoire (assistance respiratoire)
- soit contre le virus et réduisent la charge virale, soit sur la réponse immunitaire (inflammatoire) particulièrement en cas d’hyper-réponse (orage immunitaire touchant les plus jeunes)
- en renforçant l’immunité spécifique contre le virus : les vaccins dont les délais de fabrication sont décalés par rapport à la pandémie et soumis aux aléas mutagènes du virus
Toute automédication est à proscrire, tout traitement est à prescrire par un médecin qui saura évaluer les risques et éviter les associations médicamenteuses inappropriées. Il y va de sa seule responsabilité. Le médecin traitant est le premier référent dès les premiers signes supposés de la virose. Il est à la base de la chaîne santé en charge de l’épidémie : spécialiste, urgentiste, infectiologue, réanimateur. Tout maillon faible est une arme offerte au virus.
La recherche pour de nouveaux traitements agissant sur le virus et sur l’immunité naturelle est essentielle.
- La fin de l’épidémie
La stratégie du déconfinement est complexe, multiparamétrique afin d’éviter un rebond épidémique.
Elle relève de considérations sociales, économiques et bien sûr sanitaires.
Elle peut avoir recours au dépistage de l’immunité virale, au prolongement du confinement des personnes non immunisées et des plus vulnérables et à des données épidémio-géographiques (big data).
Le déconfinement ne peut être que progressif, organisé et solidaire.
L’état de guerre contre le Covid-19
C’est un virus agressif et très contagieux (pandémie)
L’état de guerre déclarée au Covid-19 met en tension éthique la primauté de la personne et certaines priorités collectives à haute responsabilité sociale pour le décideur politique.
Il s’agit d’emblée de mesures essentielles à visée préventive. Le confinement de la population doit être strict et si besoin coercitif, primant sur le droit à la vie privée. Il est d’autant mieux consenti que l’information gouvernementale est claire, continue et argumentée au cours de l’épidémie. Dès les premières contaminations, l’information doit prévenir toute automédication d’une symptomatologie grippale dont la gravité peut nécessiter une assistance respiratoire alors que les capacités nationales sont potentiellement limitées. À ce titre, le rôle pivot du médecin généraliste ainsi que les soignants et les paramédicaux en réseau avec lui est de première importance. Cette information donnée au grand public ne peut souffrir d’aucune ambiguïté vis-à-vis du médecin traitant, les actes étant joints à la parole : fourniture de matériel de protection, mis à disposition de tests, AMM transitoire si besoin et sous conditions, d’un médicament susceptible de baisser significativement la charge virale et d’éviter par là même l’hospitalisation et la contagiosité. Toute la chaîne des soignants (hospitaliers et de ville) doit être prioritairement protégée du Covid-19 et dès que possible, tous les acteurs de première nécessité. L’organisation sanitaire des hospitalisations incluant la gestion des urgences et de leurs transports, des lits de réanimation, des moyens humains et matériels, sans discrimination sectorielle, ne doit pas être sous-évaluée au prétexte du confinement. Comme dans toutes les crises de guerre, les capacités industrielles sont tenues de se réorienter pour répondre aux besoins technologiques et médicamenteux de première nécessité et de s’adapter de façon d’autant plus immédiate que les stocks font défaut. Le front de la santé prime dans un premier temps sur le front économique.
C’est le travail préventif et curatif en amont des hospitalisations, avec toutes les armes raisonnablement utilisables, qui conditionne pour partie la prise en charge des formes sévères.
Dans ce même temps de guerre, la recherche scientifique s’intensifie légitimement contre les atteintes virales et leurs conséquences. Les protocoles thérapeutiques redoublent dans le respect de la dignité de la personne et par elle, de ce qui justifie les droits de l’homme. Les risques encourus pour la personne se prêtant à une recherche ne sont pas disproportionnés par rapport aux bénéfices potentiels de la recherche (Convention d’Oviedo art. 16). À titre d’exemple, face à une maladie potentiellement mortelle, le recours au placebo en double aveugle doit laisser sa place à un autre traitement susceptible d’être bénéfique et ceci quelle que soit la population concernée. Les délais imputables aux études et à leur analyse justifient, en l’absence d’alternative médicamenteuse, que soit proposé au patient, dès le début de la maladie, le libre choix de recourir préférentiellement au traitement dont les résultats bien qu’incomplets, sont les plus avancés. Il y va de la responsabilité du médecin et, dans une certaine mesure, de l’autonomie du patient. Le consentement est requis chaque fois après une information complète et accessible.
A l’autre extrême, les formes les plus graves relèvent d’une hospitalisation en soins intensifs avec assistance respiratoire. La durée de ces hospitalisations se chiffre en semaines lorsque l’évolution est favorable. Elles exigent des compétences spécifiques, du matériel adapté (respirateurs) et des médications sédatives (morphine, curare…).
La fabrication industrielle du médicament dépend de la fourniture de matières premières en dehors de l’Europe (dont la Chine et l’Inde). De façon encore plus sensible que dans les mesures préventives, la répartition des ressources fondée sur le principe de justice et ses critères d’équité peut se trouver confrontée, en cas de ressources limitées, à devoir les attribuer en fonction de critères prioritaires en termes de résultats. Alors que la prévention porte une attention toute particulière aux plus vulnérables, le contexte exceptionnel d’un excès de la demande de soins de réanimation peut conduire à une priorisation donnée aux plus fortes probabilités de survie. De telles décisions extrêmes relèvent de la compétence et de l'expérience de l'équipe de professionnels de santé concernés. Cette évaluation doit se faire au cas par cas et ne pas être codifiée au risque de mettre « hors humanité » une catégorie de personnes, au mépris de leur dignité et des droits de l'homme. L’âge physiologique plus que chronologique, l’évaluation des co-morbidités, les souhaits du patient anticipés par écrit sont autant d’éléments pris en compte. Tout le personnel soignant est informé des principes applicables en la matière afin de les aider à surmonter le stress émotionnel que peut générer une telle prise de décision. Chaque fois que possible, il est nécessaire d’informer loyalement le patient et sa famille sur les éléments de priorisation justifiés par ce contexte d’une exceptionnelle gravité.
Dans le cas de la fin de vie d’un proche, le confinement sanitaire oblige la parenté à se protéger de la maladie pour elle-même, pour son environnement immédiat et par extension pour ne pas alourdir la surcharge des soins et des hospitalisations. Les mesures préventives prises par les autorités de santé reposent sur la prévalence des principes de solidarité et de non-malfaisance sur l’autonomie de la personne et de sa vie privée. Un devoir de bienfaisance justifie des ressources appropriées d’accompagnement psychologique pour le patient infecté en situation de fin de vie mais aussi pour la famille qui en est séparée et soumise aux difficultés de l’accomplissement du deuil.
Il en est de même lorsque le confinement sanitaire s’associe à d’autres formes de confinement. La forte contagiosité sur des personnes âgées et vulnérables dans les EHPAD peut conduire à ce que des déficiences de matériel de soins et surtout de soignants (par contamination) se surajoutent à l’impossibilité de la présence physique d’un proche auprès de cette population au risque élevé de mortalité.
Tout citoyen est un acteur à part entière dans la lutte contre l’épidémie à Covid-19. Le respect du confinement fait appel au respect et à la solidarité envers l’Autre. L’épidémie attribue à chacun des compétences pour la protection de la personne et de son environnement.
L’incivilité peut conduire à des comportements malfaisants , lourds de conséquences sur l’épidémie potentiellement mortelle. Elle concerne, outre le non-respect du confinement, les achats disproportionnés dans les commerces de première nécessité, d’inadmissibles comportements auprès des personnes exposées et potentiellement contaminantes (dans les domaines de la santé, l’alimentation, la protection civile et militaire). Le vol d’un masque ou d’un respirateur est interprétable comme une mise en danger criminelle d’autrui.
Chacun d’entre nous construit à travers cette expérience de vie, l’après Covid-19 pour les générations futures.
Dans l’État de droit d’une démocratie, le décideur est politique, rien que politique.
L’expertise participative et la conscience citoyenne sont pour lui un atout de gouvernance d’autant plus utile qu’il prend en compte l’état évolutif de la connaissance au décours de la crise sanitaire et des ressources allouées. Il appartiendra au décideur de s’assurer qu’aucun maillon faible dans la chaîne de santé et dans la chaîne économique (de première nécessité puis de nécessité première) ne perturbe son plan d’action, en constante adaptation.
Quand le Covid-19 met en tension certains principes éthiques fondateurs des droits de l’homme, ces mêmes principes au premier rang desquels la primauté de la personne lui permettront de choisir la solution la moins pire et la plus humaine qui soit pour notre santé et pour notre économie.
Dès lors cette expérience à nulle autre pareille depuis un siècle ne pourra plus faire l’économie d’un plan de défense national et européen contre la prochaine pandémie virale. Elles bénéficieront de la convergence de nouvelles technologies émergentes en matière de santé, celles de l’ingénierie sur l’homme (modification du génome viral, intelligence artificielle, nanotechnologies et robotique) et celles des Big datas (algorithmes, machinerie, applications sur mobile et autres, séquençage génomique). La bioéthique et les droits de l’homme n’en resteront pas moins un outil essentiel pour la gouvernance de chaque crise sanitaire.
Cette leçon de vie face à la pandémie du Covid-19 démontre à nouveau qu’il n’y a pas d’éthique universelle. Le relativisme culturel, politique et socio-économique conduit à des approches différentes dont resurgit toutefois une valeur commune, celle de la solidarité. Puisse-t-elle fonder le dialogue entre les continents pour une justice sociale comme préalable à la survie de notre planète.